Obscurité

Noir. Comme la nuit et les ténèbres. Un noir de jais, un noir d’obsidienne, un noir comme lorsqu’il n’y a plus d’espoir. Impossible d’y voir.


Je me déplaçais à tâtons, les deux mains sur le mur afin de me guider. Mes connaissances plus qu’approximatives du lieu ne me permettaient pas de savoir vers où je me dirigeais. Tout ce que je pouvais savoir, c’est que ça faisait plus de dix minutes que je marchais, seul, dans le noir, sans autre bruit que ma respiration saccadée et le bruit de mes pas résonnants sombrement. Peut-être étais-je dans un couloir exigü dont les parois se refermaient lentement sur moi ? Ou alors étais-je dans une immense salle de concert, suffisamment grande pour que je ne sais quelles horreurs puissent se tapir dans l’ombre, m’observer avancer à l’aveugle sans que je ne puisse rien faire contre elles.


Du calme. Tout va bien. Ce n’est qu’un bâtiment, et une coupure de courant. Pas de panique.


Pourquoi étais-je si seul ? Il aurait dû s’y trouver de nombreuses personnes également, j’aurais déjà dû en croiser une. Un sentiment étrange commençait à poindre en moi, comme l’impression d’être … observé. Mais non, il n’y avait pas lieu de s’inquiéter. Juste une coupure de courant. Juste un bâtiment… Vide. Si vide. Si silencieux, et noir.


Je ne pouvais pas être seul, c’est impossible, il doit forcément y avoir d’autres personnes. Je m’arrêtais alors, et tendais l’oreille, essayant de percevoir dans cet obscur silence un bruit autre que mon souffle ou les battements de mon coeur.


Lentement… doucement… en me concentrant assez, j’arrivais à percevoir, à entendre comme… Des pas. Des pas lourds. Pesants. Sombres. Je sentis mes pupilles se dilater. Alors même que je recherchais ce signe d’une présence, mon esprit commença immédiatement à dérailler, à s’imaginer comme un monstre, rôdant autour de moi. Un monstre chez qui l’obscurité ne le gênait pas. Il me regardait, et moi, je ne le voyais pas. Du calme. Ce n’est qu’un homme, qui doit être tout aussi perdu que toi.


– « Eh oh ! Vous m’entendez ? Il y a quelqu’un ? »


Je guettais la réponse. Les bruits de pas s’étaient arrêtés à mon cri. Je tendis l’oreille, plus encore, me concentrais… et soudain, les bruits de pas repartirent de plus belle, mais cette fois en course effrénée. Ils se rapprochaient de moi à toute allure, beaucoup trop vite. Je hurlais, et dans la panique, tombais au sol. Devant moi passa alors, trop vite pour que l’obscurité me laisse le temps de bien la voir, une ombre, à quatre pattes, qui semblait dotée d’une grande queue. Cette forme, silhouette massive d’un noir plus profond que celui dans lequel je me trouvais, devait bien faire trois mètres de long. Elle passa devant moi, et disparu dans les ténèbres. Le silence retomba, pesant.


Mon coeur explosai dans ma poitrine, mon cerveau en ébullition tâchant de trouver une explication à ce qu’il venait de voir. Avais-je halluciné ? Cette chose ne pouvait être réelle. Je me redressais et repris mon chemin, trottant dans une panique mesurée. Je devais sortir d’ici. Vite, au plus vite. Désormais je n’avais plus de doute, je n’étais pas seul. Je la sentais qui m’observe, de n’importe où. Les ténèbres m’empêchaient de comprendre la configuration des lieux où je me trouvais, impossible de savoir si elle était devant moi à un mètre, ou au fond d’une salle à m’attendre. Je dois partir, je dois partir. Au loin, j’entendis un crissement qui ressemblait au son d’un objet dur qu’on traînerait sur du métal. Impossible de savoir si ça se rapprochait, impossible de savoir dans quelle direction venait le son. Je m’étais mis à courir, la peur étreignant mes sens, étouffant mes pensées. Un grognement perça les ténèbres juste à ma droite, trop près de moi. Je hurlais à nouveau et couru dans la direction opposée, n’ayant plus même de mur pour me guider. Avançant totalement à l’aveugle, je n’avais plus le moindre repère.


Enfin, je parvins dans un endroit où l’obscurité était moins tenace. J’arrivais à percevoir se qui se trouvait à quelques dizaines de centimètres, peut-être un mètre devant moi. Je m’arrêtais un instant, reprenant mon souffle, essayant de contrôler la terreur qui me convulsionnait. Continuant mon chemin, j’avançais doucement, ne pouvant savoir où serait le prochain mur. C’était déjà un miracle que je ne me sois pas cogné.


Un bruit humide se fit entendre, au niveau de mon pied. Je m’arrêtais et me penchais, surpris. J’avais marché dans une flaque d’un liquide visqueux, épais, d’une couleur entre le vert et le gris. C’est alors que je compris. Que je l’entendis. Juste devant moi. Une respiration. Lente, profonde. Un râle digne d’un cauchemar, rauque et terrible. Le bruit des articulations alors que ça avançait vers moi, et celui du pas qui était posé, beaucoup plus doux que ceux entendu tout à l’heure, comme un félin s’approchant de sa proie. Je me figeai, le regard vers le bas, immobile. Le même grognement, grave, lugubre, comme un murmure, comme si ça jouait avec moi. Je relevais doucement la tête, et contempla l’horreur qui m’observait. Là où elle se tenait, seul l’avant de son crâne transperçait dans la pénombre. Mélange confus de métal luisant, de chair malléable et de malheur, une ombre venant noircir la nuit, un rictus solitaire prêt à te dévorer, un abysse insondable d’yeux opaques souligné par un reflet impossible. Son souffle exhalait la mort et la souffrance, son aspect en était l’avatar, créature cauchemardesque, prédateur invisible. Elle se tenait devant moi, souriant.


D’un coup, comme si la foudre me frappait, je fis demi-tour et couru plus vite que je ne l’avais jamais fais. Aucun son ne sortait de ma bouche, aucun hurlement ne pouvait exprimer l’effroi qui me consumait. Plus aucun sens rationnel, seul l’instinct de survie le plus pur me poussait à tout tenter, à courir jusqu’à arriver à bout de force ou que cette chose m’attrape.


Ma course m’amena, sans que je ne m’en rende compte, probablement sur une scène, mes bruits de pas mats étant comme étouffés. Ce fut alors clair, comme si je pouvais lire dans son esprit. Elle m’avait amené ici. Comme un chat joue avec une souris. Depuis le début, je n’avais pas la moindre chance. Je n’étais qu’une proie, face à un prédateur implacable, redoutable. Je m’étais offert à la noirceur de la mort.


Je compris que si je n’avais pas croisé aucun autre homme dans ce bâtiment, c’est qu’ils avaient tous dû être chassés, poursuivis de la même manière. Chacun avait connu l’horreur, passé ces derniers instants dans une terreur et une panique indicible, et comprendre dans ce qui devait précéder leur dernier souffle, qu’ils n’avaient jamais dû avoir la moindre chance de lui échapper, de s’enfuir. De revoir la lumière.


Je m’arrêtais donc. Fermais les yeux. Et écouta. Dans le noir, à quelques mètres sur ma droite. Elle marchait doucement. Je pouvais entendre son souffle comme celui d’une bête infernale, ce qui devait indiquer qu’elle avait son crâne tourné vers moi, comme une condamnation. Elle semblait se déplacer en cercle autour de moi, savourant sa victoire. Même la mort semblait être un châtiment plus doux que sa poursuite, que la lente agonie de sa traque. Sa queue raclait le sol, laissant entendre un bruit sinistre me permettant de suivre sa position. Soudain, elle hurla et sauta. C’était un hurlement que rien sur terre ne pouvait décrire, propre à un monstre venu d’ailleurs. Comme une sentence, ce hurlement était une condamnation à mort, le bruit de mille lames frottants sur du métal, s’éternisant, se prolongeant, à tel qu’un point que je ne saurais à quel moment je me rendis compte que je hurlais également. Puis… plus rien. Le silence retomba. Je levais la tête vers ce ciel que je ne verrai plus jamais, et ouvris les yeux, juste à temps pour voir la créature tomber du plafond, se jetant sur moi, prête à me déchiqueter.